Le type me dit bleu. Je lui dis : bleu ? Oui, bleu, il me dit.
– Bleu c’est pas possible. Blanc oui, rouge ou même noir, mais bleu non.
– Vous avez pas le bleu ?
– J’ai pas le bleu.
– On m’a dit que vous aviez le bleu.
– Qui vous l’a dit ?
– Pour le bleu ?
– Oui, pour le bleu, qui vous l’a dit ?
– Je sais plus.
– Ah.
– Alors ?
– Alors quoi ?
– Pas de bleu ?
– Non, pas de bleu, toujours pas de bleu.
– C’est dommage.
– Dommage, oui, peut-être.
– J’aurais vraiment besoin du bleu.
– Mais je ne l’ai pas.
– Comment je fais alors ?
– C’est vous qui voyez, moi je vous dis ce que j’ai. Tenez, voici un blanc.
Le type a l’air de douter. Il prend le blanc. Il le soupèse. Il le soulève.. le regarde par en dessous. Par au-dessus.
– Je peux l’essayer ?
– Oui, bien sûr. Mais attention, il est blanc.
– Et alors ?
– Vous aviez besoin d’un bleu, non ?
– Oui, mais il n’y en a pas.
– Non, il n’y en a pas.
– Alors j’essaie le blanc.
– Vous laissez tomber le bleu, alors ?
– Je pense prendre le blanc, finalement.
– Comme vous voulez. Mais vous êtes sûr que vous n’allez pas le regretter ?
– Pourquoi ?
– Il est quand même très blanc.
– C’est vrai. Vous ne l’avez pas avec une touche de bleu ? Un liséré ?
– Non, blanc seulement. Blanc de blanc.
– Si je commande le bleu, je peux l’avoir dans quel délai ?
– Le bleu est épuisé, malheureusement.
– Donc il n’y en a plus du tout ?
– Non.
– Tout à l’heure vous m’avez dit « il n’y en a pas », pas « il n’y en a plus ».
– C’est pareil.
– Non. « Pas de bleu » et « plus de bleu », ce n’est pas la même chose. « Pas de bleu », c’est temporaire. « Plus de bleu », c’est définitif.
– Pas de bleu, plus de bleu, dans tous les cas vous n’en aurez pas.
– Je suis très déçu.
– Je comprends.
– Je suis complètement dépassé.
– Oui.
– Extrêmement mal d’un point de vue psychologique.
– Bon.
– Je ne prends pas le blanc finalement.
– C’est mieux, je pense.
– Je ne peux pas acheter le blanc dans un tel état dépressif.
– Ça va aller ?
– Ce sera dur.
– Je sais.
– Au revoir.
– Adieu.
© Loïc Reverdy